Dans le paysage des hautes écoles,
Moodle domine le marché des LMS en Europe, avec 57 %, en Amérique latine, avec 67 % et en Océanie, avec 57 %. En Amérique du Nord, Moodle est deuxième avec 25 %, derrière
Blackboard, dont la part de marché est de 33 %.
C’est en Europe que l’on trouve le plus grand nombre de LMS à petites parts de marché, comme Sakai, lias, Olat, Stud.IP, Claroline, itsLearning et Fronter. Cependant, ces LMS ne peuvent compter sur aucune nouvelle installation.
La part de Canvas est en forte hausse, surtout en Amérique du Nord.
Blackboard a annoncé hier avoir
racheté deux partenairesMoodle et
engagé à une position dirigeante un des fondateurs du projet
Sakai. En même temps, Blackboard a communiqué l’ouverture d’une nouvelle branche de son modèle commercial, les Blackboard Education Open Source Services, pour proposer des prestations de support aux utilisateurs de Moodle et de Sakai, par exemple de l’hébergement, du développement, de la formation, etc.
Ces trois annonces simultanées semblent une anticipation sur le 1er avril, au regard de l’histoire récente et des vaines attaques de Blackboard contre les projets de plateformes e-learning libres (voir l’affaire du brevet sur le e-learning).
Qu’est-ce qui se cache derrière ce changement radical de stratégie, qui va plutôt dans le sens d’une diminution de la part de marché de son environnement d’apprentissage maison ? Quelles sont les véritables intentions de Blackboard, ou, pour le dire autrement, quels bénéfices compte y trouver l’entreprise de Washington ?
La réponse à cette question est très difficile, et l’on ne peut faire que des conjectures.Une raison possible évoquée serait de faire du tort à Moodle, en sapant son modèle économique de l’intérieur. Une piste plus vraisemblable est peut-être donnée par ce bref extrait de la
lettre ouverte à la communauté publiée par Bb :
[…] we’re looking at the entire student lifecycle within the education institutions we serve.
Pas les produits, mais les données !
Comme le suggère
Marc Aberdour, Blackboard connaît le potentiel commercial des données. Et il s’agit ici d’un gigantesque marché, estimé à
100 milliards de dollars (vous avez bien lu) et en croissance constante de 10% par année.
En exploitant les informations livrées par le plus grand nombre de systèmes e-learning possible, une entreprise pourra faire énormément d’argent en monétisant les données (personnelles ou non) de nos élèves ou étudiants. Dans ce modèle, l’utilisateur final d’un service n’est plus le client, mais bien le produit. C’est le modèle commercial actuel de
Google et de
Facebook (vous croyiez vraiment que leurs outils vous sont offerts sans contrepartie ?). Il est vraisemblable que c’est sur ce terrain que s’aventure désormais Blackboard.
La protection des données de nos enfants est de ce fait dans l’Œil du cyclone et il est de notre devoir d’être très vigilant.
La seule différence que Blackboard a pu mettre en évidence dans le libellé de son brevet est la connexion unique (single login), et c’est vraiment trop peu !
Il s’agit d’une victoire complète de Desire2Learn, et, plus important encore, des défenseurs des logiciels libres, en particulier de
Moodle et
Sakai.
Mais le petit jeu n’est pas encore tout à fait terminé. Il reste à Blackboard plusieurs possibilités de se battre devant les tribunaux. Il serait cependant peut-être temps pour Blackboard de tout stopper, surtout que financièrement, l’affaire pourrait lui coûter cher. Voyons plutôt.
Blackboard
doit maintenant reverser à Desire2Learn les 3,3 millions de dollars de manque à gagner qui lui avaient été versés, avec des intérêts de 6%, qui se montent à environ 200'000 $. Pour une compagnie dont le bénéfice net pour 2008 a été de
2,8 millions de dollars, cette nouvelle n’est pas réjouissante !
Comme souvent, les seuls bénéficiaires de ce type de conflit sont les cabinets d’avocats, qui y ont certainement gagnés plusieurs millions de dollars.
Le 1er février dernier, Blackboard a publié un
document dans lequel il s’engage à ne pas faire usage de son brevet sur l’e-Learning contre des projets open-source. Voici une adaptation de ce document en français.
Par le présent document, Blackboard s’engage à n’utiliser aucun des brevets cités ci-dessous, ainsi que tout brevet analogue en sa possession dans d’autres pays, contre le développement, l’utilisation ou la distribution de logiciels libres ou de systèmes faits « maison », tant que de tels logiciels libres et systèmes faits « maison » ne constituent pas une offre groupée avec un logiciel propriétaire.
Cet engagement à n’utiliser aucun des brevets cités ci-dessous, ainsi que tout brevet analogue en sa possession dans d’autres pays, est irrévocable, excepté que Blackboard se réserve le droit de mettre un terme à cet engagement uniquement vis-à-vis de toute partie qui lancerait une action en justice contre Blackboard ou ses représentants sur ses brevets et autres propriétés intellectuelles. Cet engagement lie les successeurs et les mandataires de Blackboard.
[Suit la liste des brevets concernés]
L’objectif de Blackboard est de redorer son blason en ayant l’air de faire un pas vers les acteurs libres du domaine de l’e-Learning. En réalité, cet engagement n’est que poudre aux yeux, et fait partie de la stratégie de Blackboard. La plupart des gens ne sont pas conscients que cette entreprise cherche à étendre sa panoplie de brevets dans les technologies de l’enseignement et de l’apprentissage, notamment dans le domaine des portails, de l’internationalisation et de l’évaluation.
En outre, Blackboard sait très bien que la presque totalité des institutions d’enseignement n’a pas la capacité de baser toute son infrastructure logicielle sur des logiciels libres. La plupart d’entre elles utilisent en effet un mélange de solutions propriétaires et libres, ou uniquement des logiciels propriétaires. Dans les deux cas, l’interdiction reste donc en vigueur.
Ainsi, cet engagement ne change strictement rien à la donne !